Se saisir de l’instant

C’est dans le dialogue avec l’enfant, pour le faire advenir à sa parole, qu’est né mon désir d’aller chercher plus loin les origines du langage, et c’est à ce titre que j’ai souhaité compléter ma formation universitaire par une licence de psychologie qui a donné lieu à une recherche: « Exprimer toutes les étincelles de notre âme ».

« Moi, j’y arrive pas, à la faire, cette lettre. »

« Autrefois, au temps où le ciel était très proche de la terre, les femmes dogons décrochaient les étoiles et les donnaient aux enfants. Quand ceux-ci étaient las de jouer, les mères leur reprenaient les astres et les replaçaient dans la voûte céleste. »
Marcel Griaule, Jeux dogons

 « N’est-ce pas l’émotion, la sincérité du sentiment de la nature qui nous mène ? » »
Van  Gogh, Lettre à Théo

– Moi, j’y arrive pas à faire cette lettre… »
 Cet enfant est en train d’apprendre à écrire son prénom, dont une des lettres est le « C ». 

– Il n’y arrive pas – et  ça lui pose, réellement, un problème !
Il me sollicite.
Il se trouve que ce même enfant a pris un plaisir,  immense, à tracer des croissants de lune, non seulement comme chacun des enfants de la classe, pour sa propre « Nuit étoilée », mais de façon autonome. Il avait envie de faire et de refaire ce geste.

Je lui réponds :
– Moi, je sais que tu sais la faire… »
(Suit un silence, il n’a pas, du tout, l’air d’être de mon avis! Je vais comprendre pourquoi après.)
 Magie de l’instant, l’enfant est dos au mur où est exposée La nuit étoilée de Van Gogh
– Regarde.
Je lui désigne le tableau.

Nos regards, se croisent… Ses yeux brillent, étoiles au milieu des étoiles.
Sa main, trace un immense et magnifique « C », de façon instantanée !
Là, c’est à mon tour de rester sans voix…

Visiblement, ses croissants de lune, tracés et retracés, à partir de celui du tableau de Van Gogh, ne renvoient pas à la même image mentale que la lettre « C »…


«  L’homme imagine d’abord et il voit ensuite. » (Bachelard)

Encore Bachelard, pour le terrain, encore…

L’image du croissant de lune, qui s’est formée dans la tête de cet enfant, il l’a lui-même construite et c’est pour cela qu’elle lui appartient, il l’a faite sienne, elle lui est propre.
 Parce qu’il l’a é-prouvée. E-motion. C’est l’expérience sensible, avec SES sens à lui , qu’il a faite avec les bougies….

J’ai tendu (…) des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. -Arthur Rimbaud

…avec Van Gogh,  Miró, Matisse, Rimbaud, les mamans africaines, qui lui a permis de « rêver » SON croissant de lune.

L’Or de l’azur, Joan Miró

Icare, Matisse

Un enfant: Moi je l’ai fait le feu, alors je connais.

Et avec tous ces morceaux de Réel, de fabriquer SON puzzle, à lui, différent de celui d’un autre enfant. (Bettelheim).
Ce qui est loin d’être le cas de ce  trait, de cette lettre complètement abstraits.
Aucune image à pouvoir fabriquer, s’approprier, pro-jeter…
Aucun sensible avec lequel résonner et encore moins raisonner.
C’est parce qu’on a proposé  à cet enfant toutes les formes nécessaires  pour former ses propres images, qu’il a pu, ensuite,  « voir » la forme de la lettre à tracer, qui ne pouvait que passer, invisible,  devant ses yeux, dans le premier contact, tant elle lui était étrangère parce que sans voix.

« Je n’écris pas seulement sur les lignes du papier.
  J’écris aussi sur les fils de ma lignée, sur lesquels je reçois mon nom de fils. »

Joël Clerget, L’Enfant et l’écriture


Ce sont ses images qui vont lui permettre « de parler par l’écriture », fondée sur du sens, construit du dedans, et non sur des signes.
Bachelard, en définissant  l’imaginaire comme espace qui précède la pensée, ouvre un horizon infini.


« Le rêveur lucide réalise une synthèse de la réflexion et de l’imagination. Alors la rêverie n’est pas un abandon, la rêverie est active, la rêverie prépare des forces et des pensées. » Bachelard

Cet enfant est en train de commencer à construire son espace intérieur, tel « le dormeur éveillé » de Bachelard. C’est cet espace intime qu’il habitera, plus tard, la nuit, là où ses rêves le conduiront.

« Le Château, c’est quand on s’est donné la main. »

Troisième période, « L’eau ».
Nous habitons Nice, nous travaillons sur l’élément « Eau », nous partons voir la mer. Non pas que je pense que ces enfants, qui n’ont que trois ans, ne l’aient pas encore vue, mais parce nous allons partir, tous ensemble, en voyage sur l’eau. 
Nous allons créer notre récit sur l’eau.
La « sortie scolaire » se passe bien. De nombreux parents ont répondu à l’appel.
Le parc du Château est tout à côté de l’école, nous sommes au milieu des arbres, le ciel au dessus de nos têtes. Bientôt, nous arriverons à la Cascade et instant magique, des enfants la découvrent pour la première  fois.

Un vrai feu d’artifice qui explose rien que pour eux et surtout, surtout, dans leurs yeux.
Nous arrivons au point de vue sur la mer. 
Silence, tout comme la Cascade, je suis sûre qu’ils n’ont jamais vu la mer de si haut.
Un « La mer, c’est grand comme ça. », jaillit.
Le voyage dans l’eau vient de commencer.
Nous rentrons, épuisés, à l’école. Toilette, repas et sieste bien méritée.
L’après midi, bien ressourcés, nous faisons le point.
Je me munis de mon carnet d’écriture pour noter les réponses des enfants à ma question : « Qu’est-ce qu’on a vu ce matin? »
J’entends commencer le voyage dans l’eau avec leurs paroles sur la mer.
J’écoute, je note, je relance…
Et une réponse m’interloque. 
C’est à dire que mon stylo reste en suspension dans l’air…
« Le Château, c’est quand on s’est donné la main. »… 
Cet instant-là ne parle pas ni de l’eau, ni de la mer, mais est bien la voix de ce que cet enfant a vécu le matin. Son récit, à lui, de ce qu’il a éprouvé et qu’il veut bien nous adresser, dans un « partage du sensible ». Il nous offre sa parole, il se confie à nous quant à son voyage intérieur, là où il s’est laissé toucher.
Sa parole nous donne bien le début de  « notre » histoire, de « notre récit » que je m’empresse de mettre en valeur comme note de musique pour écrire notre partition que nous chanterons bientôt, quand d’autres voix viendront se mêler les unes aux autres, en chœur.


« Conversation comme manière de vivre, ce lien qui nous fait tenir les uns aux autres par la parole. »

Ali Benmakhlouf

Je m’accroche à mon stylo, et nous nous tenons tous les uns aux autres par nos bouches et nos oreilles, pour tenir les uns aux autres dans ce que nous allons faire advenir comme nouvelle parole, notre « Nouveau-Monde ».

« Moi, je ne la connais pas Pina Bausch! »

Julien argumente, c’est ce que j’entends… , que son vécu à lui, s’est réalisé dans un dialogue avec moi…
Devant les photos des enfants qui dansent avec la musique de Pina, de Wim Wenders, il affirme haut et fort, aux autres élèves qui prétendent avoir dansé avec cette musique… que lui, était avec moi… 
Ou du moins , il me remercie de ce cadeau qu’il a reçu, à son adresse !


 C’est à mon tour de remercier Pina Bausch et ses danseurs et ses musiciens et Wim Wenders d’avoir donné la parole à Julien, pour me l’adresser et pour s’affirmer devant ses camarades.

« J’ai fait les ailes, il va voler. »

Nous venons de finir le travail sur « L’air ».
Nous sommes depuis un moment déjà sur « La Terre »
Solange modèle un personnage en pâte à modeler, un vrai Sumo.
Une assise incontestable ! Planté en terre par les deux piliers de ses jambes…
Quelle n’est pas ma surprise quand elle m’adresse son récit :
« J’ai fait les ailes : il va voler. »
D’autant plus que les deux bras sont à l’image de ses deux jambes, tout en muscles.
À cet instant, je me souviens des leçons de Bachelard :


« L’homme imagine d’abord et il voit ensuite. »


Associées à celles de Bettelheim :


« La réalité objective comporte peu d’attrait pour le jeune enfant parce qu’il ne peut encore la comprendre. L’enfant essaie de saisir des fragments de la réalité en les amalgamant avec les créations de son imaginaire, il entoure de rêve ce qu’il rencontre dans la réalité. »


Merci à Bachelard, merci à Bettelheim qui m’ont tous deux permis d’accompagner Solange dans son voyage, commencé deux mois avant, avec les ballons qui volaient dans la cour et qu’elle poursuivait, ce jour là, en face de moi, grâce à un corps, modelé « dans » cette pâte , pour pouvoir s’envoler dans les airs.
Quoi de mieux qu’un « acteur », en chair et presqu’en os, pour incarner sur scène, le plus vieux rêve de tous les hommes, avant Solange et après Solange, celui d’Icare.
Quoi de mieux pour réaliser, c’est à dire amener au Réel, qu’un personnage ou …
la parole d’une personne.


« Ce qui compte, c’est le conte, il raconte. »
Peter Brook

« Maria Callas, c’est la princesse de l’eau, elle n’y est pas à Marineland! »

Troisième élément, « L’eau »

Tout commence avec « La grâce » d’Atlantis de Luc Besson, littéralement, inspiré par Bellini (La somnambula) à la musique, et Maria Callas, pour la voix, et le chef d’orchestre et tous les musiciens de l’orchestre, pour un voyage océanique, un vrai ballet aquatique dansé par des raies.
Les raies volent et les enfants se retrouvent, sans aucun doute possible, dans le ventre de leur maman. Le silence qui accompagne le film en témoigne !

« La mer, c’est le ciel des poissons. » J. Cocteau.

D’autant plus que la classe vient d’afficher un nouveau décor, où trois bébés nageurs, nagent, avec un sourire qui en dit long sur leur souvenir tout proche du séjour amniotique.

J’extrais la voix de Maria Callas pour l’amener sur les planches pour un autre ballet.

Le tapis bleu de la salle de Jeu.
Et voilà les enfants qui jouent à nager, portés par la voix de Maria Callas.

Nous continuons notre voyage, immersion, en apesanteur.

L’eau qui est douce et ne bouge que pour ce qui la touche de « Poissons », de Paul Eluard, « La vague de Matisse » où mes anciens élèves (fresque dans la cour) « nagent, tranquilles, dans le silence ».

Des bébés nageurs en pâte à modeler, en peintures, en dessins, viennent donner vie à ce paysage d’outre-mer. Des voix racontent.

Il n’y a que « La vague d’ Hokusaï » qui « avale tous les enfants et aussi les bateaux » et dans laquelle, « il y a du bruit …» qui pourrait venir contrarier cette harmonie. Mais,

« … comme aux temps anciens, tu pourrais dormir dans la mer. », P. Éluard

Mais tous les enfants savent faire la différence. On peut rêver « dans » la vague de Matisse mais il ne faut pas s’approcher de la vague d’Hokusaï…

Et puis, participation au projet de classe…, je n’ai jamais osé demander…, un enfant se rend avec ses parents à Marineland, parc de loisirs aquatique.
Et le verdict tombe, dans un instant de vérité, la peinture bleue des vagues va porter la voix de cet enfant :

« Maria Callas, c’est la princesse de l’eau. Elle n’y est pas à Marineland! »

C’est ce qu’on appelle la rencontre avec le Réel.

C’est tout ce voyage au cœur de l’eau qui a permis de créer la musique de notre opéra qui appelle, sans aucune équivoque, une autre mise en scène que celle de Marineland.

Cet enfant ne s’y est pas trompé. Il vient d’apprendre à exercer son esprit critique.
Thèse, antithèse, synthèse.
Fin de la leçon

« Mon papa aussi, il habite en France… »

Toujours « L’eau »

Leçon de géographie avec le globe terrestre, pour la planète bleue.

Faire tourner la boule qui devient toute bleue.

« La Terre est bleue comme une orange. »

Paul Éluard

Chanson, « En sortant de l’école, …, tout autour de la Terre… » du poème de Jacques Prévert.
Collage, papier de soie, pour dialoguer avec le Bleu de Klein.

Et, nous, on habite où ?
En France.

Le temps que tout ce bleu infuse, on apprend la chanson de J. Prévert. On dessine le rond.

Et Nour, ( prénom changé), me confie en fixant son regard sur le globe :

« Mon papa, aussi, il habite en France… »

Et sa voix me dit tout le reste. Instant de silence…
Je sens bien qu’elle affirme ce dont elle doute. Ce doute qui lui fait terriblement peur.

Les parents de Nour sont des gens très ouverts, je n’hésite pas une seconde.
À la sortie, je vais voir ce qui se passe, parce qu’une chose est sûre, il se passe quelque chose. Nour est une petite fille calme mais heureuse de vivre, mais là, non !
La maman est là mais pas le papa… Et pour cause, il est en déplacement en Algérie.

Bon, ni Nour dans sa parole, ni moi, dans mon écoute, ne nous sommes trompées.

Dessin de la planète, écriture de son cri de détresse pour sublimer. Dans le même temps qu’il valide le sens de sa parole, qui n’a strictement rien à voir avec ce qu’il désigne!

Affichage pour la classe, pour faire entendre à Nour que oui, nous sommes tous d’accord avec elle sur le fait que son papa, aussi, habite en France et que, oui, nous habitons tous le même pays et que personne ne peut douter. La preuve, c’est que c’est écrit…
Forme affirmative !
Et sur la couverture du cahier collectif, bris-collé comme un puzzle avec une production de chacun des enfants, s’expose une photo du fronton de l’école avec le drapeau français sur lequel je colle un morceau de ruban bleu, blanc, rouge avec, au texte, la phrase de Nour.

Nour sait qu’elle a eu raison de nous adresser sa parole . Que sa parole a sa part dans le récit écrit ensemble. Que nous sommes, aussi, en train d’écrire l’Histoire de notre pays.

Atterrissage de l’avion qui revient d’Algérie.

« Je nage dans le ventre de ma maman. Papa, il a dit que c’est vrai… »

Encore « L’eau »
Encore le ventre de ma maman.


Les bébés nageurs nagent dans notre piscine. Installation plastique, s’il en est.


Les peintures, les dessins fabriquent un paysage sous-marin où des personnes racontent leur histoire depuis leurs origines.


« Je nage dans le ventre de ma maman. Papa, il a dit que c’est vrai. »

Cette petite fille nage comme tous les autres enfants sauf, qu’elle se fait accompagner dans son voyage. 
Sa parole vient me, et nous, signifier, parce qu’on va la partager quand elle construira le récit collectif, que cette demoiselle a été vérifier ses sources, qu’elle a mené son enquête. Et je ne sais pas encore tout !
Et la parole qu’elle a entendue en classe vient s’enrichir de ses recherches et de ses conversations, sur le terrain, pour nous enrichir. 
Bravo, l’artiste !
Pour une entrée dans le langage, c’est très réussi. Cette enfant a parfaitement compris que ce qu’elle entend, en classe, lui sert comme outil de communication pour élargir sa découverte du monde, à condition de rassembler les preuves de ce que l’on avance.


« Ils partirent rechercher l’outre-mer. »

La maman qui n’a pas fait que porter son enfant dans son ventre, a les yeux qui brillent quand elle accompagne sa petite fille à l’école.
J’enregistre la voix de ces étoiles, chaque matin…
En fin d’année, elle viendra me remercier, avec une voix pleine de vagues cette fois, parce qu’elle a eu la sensation d’avoir passé l’année dans ma classe quand, tous les soirs, elle écoutait son enfant lui raconter le récit de son voyage.Et, quand cette jeune fille avait terminé, elle appelait sa grand-mère, en Tunisie, pour vérifier ses talents de journaliste ou, peut-être de conteuse…
J’ai remercié la maman en lui signifiant que c’était le plus beau des cadeaux de parent d’élève qu’elle venait de m’offrir. Que c’était ces joies, la sienne, celle de son enfant avec sa grand-mère, celle du papa, toutes partagées avec moi, jour après jour, qui avaient écrit l’histoire de ce cadeau.

« Moi, à ma maison, j’ai des petits bateaux. ».

Dans « L’eau ».


Recréation, S. vient s’asseoir sur le banc à côté de moi. 
C’est une petite fille très timide.


Je travaille avec un enfant à la fois pour les ateliers de  modelage, peinture et dessin afin d’engager un dialogue qui fasse émerger une  parole sur leur création.
Mais visiblement, il y a des choses qui n’ont pas été, encore, verbalisées ou du moins qui appellent un autre cadre. Une plus grande intimité.

Je me mets en situation d’accueil. 
S. vient me confier, comme un secret, au creux de l’oreille : 
« Moi, à ma maison, j’ai des petits bateaux. »
Et voilà , deux petits  bateaux qui naviguent depuis la maison jusqu’à l’école.
 Et qui vont s’écrire dans le récit collectif. 
Donnant sa part, sa voix et son nom à S., au sein de sa communauté, dans le même temps qu’elle la construit.

L’homme est un animal politique parce qu’il est un animal littéraire, qui se laisse détourner de sa destination « naturelle » par le pouvoir des mots.
Jacques Rancière, Le partage du sensible

« Ho, hisse… »

Sur « L’eau »
Plusieurs séances de motricité avec des chaises et des tables ont abouti à des tables retournées qui deviennent des bateaux.
Un vrai réservoir de socialisation. 
On pousse, on tire, on est porté, on emporte.
Comme « on joue » aux bateaux mais qu’il n’y a pas de vent dans les voiles, il faut bien trouver de quoi faire naviguer ces embarcations de fortune…
Un « Ho, hisse » se fait bientôt entendre, entonné bientôt en chœur par tous les marins ou presque…
Ritej ne nous a pas encore donné sa parole. 
Grâce à tous ces « Ho, hisse », le vent se met à souffler dans les voiles et les bateaux fendent les vagues. 
Et dans leur sillage…, pour la première fois de l’année, nous entendons une voix que nous ne connaissions pas encore :
Le « Ho, hisse » de Ritej qui monte et qui s’enfle et qui porte, enfin, sa voix jusqu’à elle et jusqu’à nous.

« … et la voile respire »

Paul Eluard

« Doudou ne nage pas parce qu’il ne veut pas se mouiller, sinon, il pleure. »

Quand je proposais des jeux d’eau à des enfants de trois ans, en les mettant ensemble devant un lavabo, c’était pour leur permettre d’exprimer leur ressenti lorsqu’ils sont en relation avec leur part d’eau, en eux. Et cela donnait des choses particulièrement intéressantes, comme ce petit élève vivant en pouponnière, donc ne vivant déjà plus avec sa mère, ni son père, accroché à son doudou, comme à une bouée et qui, pour la première fois, parce qu’il est attiré par l’eau, fait le choix de l’abandonner… à condition de se laisser caresser et bercer par l’eau qui l’a constitué, dans le sein maternel, et de partager cette expérience avec un pair, dans sa nouvelle « maison », l’école ».

Après de si nombreuses années, je reste encore sidérée par la force de vie de cet enfant, qu’il a trouvée, ce jour là, dans et par sa parole.
Le fait que cet enfant, pour la première fois, ait accepté, attiré par l’eau, de se séparer de son objet transitionnel, constitue un acte fondateur, parce qu’il a engagé son être tout  entier, et en cela a fondé sa parole et donc son sujet.
Son entrée dans le langage en tant qu’activité symbolique (et non descriptive), lui permet de se construire et de construire son histoire.
C’est cette expérience qui est « parlante » pour l’enfant.
C’est en cela qu’elle  raconte le geste d’apprendre de  notre métier d’enseignant et de notre place dans la cité.

« On a déguisé le bleu. »

Fin du voyage sur «L’eau »
Nous allons terminer  notre recherche en Outremer. 
Fin de la troisième période de classe, fin du troisième élément.

Pour fêter le Carnaval, fabrication de nos déguisements .
Des grands sacs plastiques, bleus …, vont se métamorphoser en costumes.
Notre nouvelle collection a de l’allure !
Un enfant : « Elle a la robe, jolie ! »
Les photographies, en couleur, des modèles retenus pour le défilé viennent inonder de Bleu un mur de la classe. 
Hannah contemple cette nouvelle tonalité et vient donner leur voix à ces images :


«  On a déguisé le Bleu. »


Et là, instant magique pour moi, je comprends que Hannah vient de m’offrir  ce que je cherche. Je suis convoquée. 
Hannah n’est pas en train de décrire la couleur du plastique, mais de signifier, fabrique du Sens, ce qui a été, au sens littéral, créé. 
Ce n’est pas un atelier de couture, avec toutes ses petites mains, qui vient d’avoir lieu mais bien un atelier d’écriture. 
La trace d’un éprouvé, un récit. 
Du geste à la parole.

Je suis prête -De la pratique à la théorie- pour aller jusqu’à la Fabrique du langage. 
Je fais ma demande pour une formation professionnelle en Psychologie. 
Et bientôt, sur les bancs d’une autre école, je vais pouvoir entendre Bruno Bettelheim : 


«  La réalité objective comporte peu d’attrait pour le jeune enfant parce qu’il ne peut encore la comprendre. L’enfant essaie de saisir des fragments de la réalité en les amalgamant avec les créations de son imaginaire, il entoure de rêve ce qu’il rencontre dans la réalité. »


Hannah me sourira, à nouveau, en me racontant une seconde fois, l’histoire du Bleu.

«  Un ton seul n’est qu’une couleur, deux tons c’est un accord, c’est la vie. »

Matisse